Alors que la transition énergétique s’accélère, le recyclage des batteries est devenu un enjeu industriel crucial en Europe. Véritables minières urbaines, ces batteries contiennent des métaux stratégiques essentiels à la mobilité électrique. Pourtant, malgré l’importance de la filière, l’industrie européenne peine à trouver son rythme face aux défis techniques, économiques et géopolitiques. La France, par exemple, tente de tirer parti de ses gisements urbains à travers des initiatives innovantes, tandis que des géants comme Veolia, Renault et Umicore jouent un rôle clé dans la structuration de ce secteur. Dans ce contexte complexe, le nouveau règlement européen CRMA redéfinit les règles du jeu, poussant vers plus d’autonomie et la mise en place d’une circularité plus ambitieuse pour les métaux critiques. Mais la route reste semée d’embûches, entre retrait de certains grands projets comme ceux d’Eramet ou SUEZ et émergence de startups dynamiques comme Recupyl ou Battri qui bousculent les schémas traditionnels.
La valorisation des batteries usagées : une opportunité industrielle majeure pour la France
En France,
le recyclage des batteries connaît un véritable tournant d’ambition industrielle. L’inauguration de l’usine Battri à Saint-Laurent-Blangy, dans le Pas-de-Calais, incarne cette dynamique. Cette installation produit de la « black mass », une poudre noire composite qui contient des métaux essentiels comme le nickel, le cobalt, le lithium, le manganèse ainsi que du graphite. Ce concentré de ressources représente la matière première fondamentale pour la fabrication de nouvelles batteries ou autres composants. Grâce à cette innovation, les déchets électroniques ne sont plus des déchets, mais de véritables mines urbaines.
La levée de fonds de 20 millions d’euros à laquelle a participé des investisseurs mobilisés montre l’appétence grandissante pour des solutions agiles face à des mastodontes industriels. En effet, avec l’arrêt de projets d’envergure comme celui d’Eramet près de Dunkerque ou la suspension des opérations initiées par SUEZ, l’émergence de sociétés comme Battri révèle qu’avec de la flexibilité et de la maîtrise technologique, il est possible de valoriser localement ces flux. Cette approche est d’autant plus nécessaire que la filière automobile électrique, liée à des industriels comme Renault ou Saft, génère un volume croissant de batteries en fin de vie. Ces batteries ne contiennent pas uniquement des métaux stratégiques, mais également du cuivre, de l’aluminium et des polymères, autant d’éléments qui, une fois récupérés, alimentent l’économie circulaire à travers la revalorisation de ces matériaux secondaires.
Les entreprises françaises comme SNAM ou Recupyl y voient également une opportunité de renforcer leur position dans un secteur en pleine évolution. L’intégration du recyclage dans la chaîne de valeur automobile ouvre la porte à une souveraineté industrielle et environnementale où chaque gramme de métal réutilisé diminue la dépendance aux importations. La transformation des déchets en ressources premium est désormais au cœur des stratégies industrielles françaises, fixant des objectifs ambitieux pour les années à venir.
Les effets du Critical Raw Materials Act sur le recyclage des batteries en Europe
Au niveau européen, la mise en place du Critical Raw Materials Act (CRMA) en mai 2024 constitue une rupture majeure pour le recyclage des batteries et des métaux critiques. Cette réglementation fixe des objectifs quantifiés ambitieux : recycler 25 % des métaux critiques d’ici 2030, assurer 40 % du raffinage sur le continent européen, et atteindre un taux d’extraction locale de 10 %. Ces seuils traduisent une volonté claire de réduire la dépendance sur les importations, notamment asiatiques, et de réorganiser la chaîne industrielle de la filière batterie au sein de l’Union européenne.
Le CRMA introduit également la responsabilité élargie du producteur (REP) pour les batteries automobiles qui s’applique depuis août 2024. Ce système oblige les fabricants à financer les infrastructures de collecte et de recyclage, appliquant ainsi concrètement le principe pollueur-payeur. Cette mesure est un levier crucial pour garantir les flux de matières premières secondaires et assurer la viabilité économique des usines européennes. Des groupe comme BASF et Umicore, historiquement présents dans la chimie et le raffinage, se positionnent pour profiter de cette évolution en augmentant leur capacité de transformation.
Au plan économique, la hausse significative des valeurs des métaux contenus dans un
véhicule électrique accentue l’intérêt pour le recyclage. En une année, la valeur métallique moyenne d’un véhicule électrique a grimpé de 35 %, pour atteindre environ 175 dollars, en raison notamment de la flambée des prix du dysprosium et du terbium, deux terres rares indispensables aux technologies modernes. Ce contexte rend le recyclage non seulement écologique mais aussi rentable, une réponse concrète aux tensions sur les matières premières stratégiques.
Cette nouvelle législation pousse également le secteur à innover pour améliorer les procédés et augmenter le taux de récupération, un enjeu clé pour des acteurs comme ACC (Automotive Cells Company) ou Veolia qui développent des solutions hydrométallurgiques plus performantes. La transition vers une économie circulaire est désormais inscrite dans les actes et conditionne la compétitivité européenne sur le marché mondial des batteries.
Les obstacles structurels à la circularité dans le recyclage des batteries européennes
Malgré ces avancées, la filière européenne du recyclage de batteries fait face à des difficultés structurelles qui freinent la montée en puissance de la circularité. Un point crucial est l’absence de capacités suffisantes pour produire les précurseurs de cathode, matériaux actifs indispensables à la fabrication des batteries de nouvelle génération. Cette étape critique reste largement externalisée vers l’Asie et les États-Unis, obligeant des acteurs comme Battri à exporter leur black mass pour transformation, limitant ainsi l’intégration verticale de la chaîne industrielle.
Le cas du groupe Eramet, qui a mis en pause son usine hydrométallurgique près de Dunkerque, souligne cette réalité. Sans marché européen suffisamment structuré pour absorber cette production, les investissements deviennent risqués et peu attractifs. Cette dépendance à l’extérieur crée un paradoxe : la matière première recyclée quitte le continent pour être retraitée ailleurs, avant de revenir sous forme de nouveaux composants. Cette situation est un défi à la souveraineté industrielle que l’Europe cherche pourtant à atteindre ardemment.
Par ailleurs, plusieurs projets de recyclage dans les Hauts-de-France se trouvent aujourd’hui en pause ou arrêtés. La coentreprise Hydrovolt, qui associait le norvégien Norsk Hydro et le suédois Northvolt, a été impactée par la faillite de ce dernier en fin 2024, mettant en suspens la future usine à Hordain. De même, le canadien Li-Cycle a résilié son bail pour une usine programmée à Harnes, dans le bassin minier historique, illustrant les difficultés économiques et logistiques à pérenniser ces opérations en France.
Ce contexte crée une tension entre une demande exponentielle en matières recyclées et un tissu industriel encore immature. Les groupes traditionnels comme SUEZ peinent à finaliser leurs projets faute d’un environnement économique et réglementaire suffisamment favorable. La question stratégique de combler ces trous dans la chaîne industrielle est donc posée pour éviter que l’Europe reste dépendante des transformations réalisées ailleurs dans le monde.
La montée en puissance des nouvelles entreprises et la reconfiguration industrielle française
Au milieu de ces défis, des startups et acteurs émergents se positionnent avec audace pour redessiner la carte industrielle française du recyclage des batteries. Mecaware, par exemple, prépare une installation sur le site historique de Bridgestone à Béthune, dans le nord, avec un démarrage prévu vers 2029. Ce choix de localisation tire parti de l’héritage métallurgique et de la proximité des bassins automobiles pour créer un pôle français compétitif et innovant.
L’entreprise Derichebourg s’allie avec le groupe coréen LG pour construire une usine produisant de la black mass à Bruyères-sur-Oise, démontrant une dynamique transnationale dans les partenariats industriels qui permet de conjuguer l’expertise locale à la maîtrise technologique internationale. Cette stratégie reflète la nécessité croissante pour la France d’accélérer ses capacités sans attendre le réveil des poids lourds historiques comme Eramet ou SUEZ, dont les grands projets sont en recul.
Cette nouvelle génération d’acteurs privilégie la souplesse, l’optimisation des coûts et l’adaptabilité au marché naissant, des qualités indispensables dans un secteur en pleine mutation. Grâce à des modèles économiques agiles, ces startups peuvent rapidement ajuster leur production selon la demande et les évolutions réglementaires.